Nay Bah aux Retrouvailles Lycée Yersin 2009 à Dalat ou une chaîne de solidarité yersinienne
Remarque : Lors de leur première citation dans le récit, le nom des yersiniens est en bleu, suivi de la [promo].
Episode 1 : DES DEBUTS LABORIEUX
L'histoire commence par une belle journée d'été 2006 à Annecy (France). Nous étions un petit groupe d'anciens yersiniens et yersiniennes à être invités par Bùi Lâm Sơn [promo 66] qui y fêter son 60ème anniversaire.
Comme dans toutes les réunions de yersinien(e)s dans le monde, tôt ou tard, la discussion porta sur les anciens camarades, perdus de vue depuis longtemps. Cette réunion ne dérogea pas à la règle : entre les délicieux plats préparés par Nguyễn Ngọc Linh [promo 71], épouse du maître de maison, ce jour-là, nous nous mîmes à évoquer le souvenir de nos camarades issus des minorités ethniques, notamment Toploi Broi [promo 66] et Nay Bah [promo 65].
Qu'étaient-ils devenus ? Où étaient-ils maintenant ? Etaient-ils seulement encore en vie ?
Le petit groupe réuni ce jour-là n'avait pas de réponses à toutes ces questions …
Durant les mois qui suivirent, sans aucune concertation, chacun d'entre nous essaya de glaner des renseignements sur nos amis.
C'est ainsi que Benjamin Sandou [promo 65] pris contact avec notre ancien surveillant Nguy Văn Nhuận [promo 60] alias Nara Vija qui lui promit de rechercher l'adresse de son ancien collègue K'Briu Pierre [promo 60], frère aîné de Toploi Broi [promo 66]. Hélas sans résultat !
Toujours Benjamin, accompagnés de Ngô Quốc Trung [promo 65] et Hùynh Văn Thong [promo 65] assistèrent à Paris à une séance de dédicaces du dernier livre de Po Dharma pour essayer de l'approcher. M. Po Dharma, d'origine cham, est un spécialiste reconnu de cette civilisation et serait susceptible de nous fournir de précieux renseignements sur nos amis. Malheureusement, après plusieurs rendez-vous annulés au dernier moment par M. Po Dharma, cette piste fut abandonnée, faute de combattants ! Méfiance envers nous ?
De son côté, Laurent Maurice Marti [promo 65] sollicita Trần Ðắc Nghỉa [promo 65] pour relayer son avis de recherche de Broi, sur son site yersinien 'Entre-Nous'. C'est ce que fit ce dernier dès son retour des USA. Nous sommes à l'automne 2007.
Parallèlement, Laurent écrivit au maire de Di-Linh, mais ses lettres restèrent sans réponse. Au mois d'octobre de l'an de grâce 2007, un correspondant américain de Laurent, David Griffths Sox, qui a connu Broi à Honolulu, nous apprend que ce dernier a fait des études à l'Université de Hawaï (Manoa) mais qu'il est rentré au Vietnam en 1972-73.
Avec cette nouvelle, Toploi Broi sortait enfin de nos pensées pour se matérialiser un petit peu plus. Cependant, plus d'une année s'était déjà écoulée depuis notre réunion d'Annecy et malgré la large diffusion de notre 'bouteille à la mer', nous n'avions toujours pas le moindre indice sur la situation actuelle de Toploi Broi, et encore moins de Nay Bah.
Episode 2 : LA PISTE NORVEGIENNE
Six mois plus tard nous amenèrent à l'été 2008.
Au mois d'août de cette année, Laurent Maurice Marti reçut un énigmatique message de Hà Quang Xương [promo 65] dit Pierre Michelet. Ce dernier l'informait que Toploi Broi serait député et vivrait actuellement en Norvège !
Scoop !
Apprenant cette nouvelle, Ngô Quốc Trung a réussi à accéder au site du Parlement norvégien pour en consulter la liste. Malheureusement, aucun nom de députés ne ressemblait, ni de près ni de loin à "Broi" Nous fîmes alors appel à notre 'norvégien de service'. Nguyễn Hùng Nhưng [promo 65], marié à une norvégienne, faisait régulièrement des séjours dans ce pays. Il se proposa de faire des recherches sur place. Malheureusement, elles n'aboutirent pas plus.
Pierre Michelet s'impliqua lui-même sur cette piste en écrivant à l'ambassade de Norvège, à son ami Nguyễn Ðình Dzũng [promo 70] journaliste à Chicago, et même à Hoàng Ðức Nhã [promo 59], ancien conseiller à la présidence.
N'ayant pas obtenu de réponses tangibles, la piste norvégienne fut définitivement abandonnée !
Episode 3 : K'BRIU ET TOPLOI BROI
En septembre 2008, lors d'une nouvelle rencontre chez lui, Bùi Lâm Sơn me prend à l'écart et me dit mystérieusement :
"Bich, j'ai quelque chose pour toi. J'ai le numéro de téléphone de K'Briu !"
Lors d'une rencontre à Paris, j'avais eu l'occasion de reparler de ce sujet à BLSơn Et les paroles que nous avions échangées une année auparavant n'étaient pas tombées dans l'oreille d'un sourd : lors d'un séjour aux USA, BLSon avait rencontré un parent par alliance qui lui avait remis le précieux numéro ! Ce parent, prénommé Nguyên Thành Công [promo 57] était lui-même yersinien et était très lié à K'Briu. Il avait demandé l'accord préalable de K'Briu pour donner son n° téléphone à BLSon. Sous le coup de l'excitation, nous avons immédiatement appelé K'Briu depuis Annecy mais sans succès.
Enfin, nous avions quelque chose de concret ! Il ne fallait pas gâcher cette chance.
Si nous étions sûrs de nos bonnes intentions, il n'en était pas forcément de nos interlocuteurs. Rendu attentif par nos précédents échecs, je décidais de jouer la prudence et de ne pas inonder soudainement K'Briu de nos mails inquisiteurs et impatients... 40 ans après !
Aussi, je ne communiquais le précieux numéro qu'au plus proche ami de Broi, à savoir son camarade de classe, Laurent Marti. Sa mission était d'entrer en contact avec K'Briu et d'obtenir des informations sur son frère cadet. A ma connaissance, le contact avec K'Briu fut fructueux car celui-ci n'a pas hésité à donner à Laurent, les coordonnées de son frère.
C'est ainsi que dans la nuit du 10 au 11 septembre 2008, Laurent a pu discuter pendant plus d'une heure, au téléphone, avec son ami Toploi Broi. Broi a ainsi confirmé qu'il avait bien travaillé à Hawaï, puis qu'il était retourné au pays où il a été emprisonné par le régime communiste et qu'il n'a pu quitter le Vietnam qu'en 1990 pour venir aux USA. Il vit actuellement en Caroline du Nord et travaille dans l'immobilier. Quant à K'Briu, il venait de faire un séjour à Paris et à Lourdes, et nous l'avions raté de justesse ! et c'est la raison pour laquelle nous ne pouvions le joindre au téléphone.
A son tour, Ngo Quoc Trung, autre camarade de classe de Broi en M2, a pris contact avec lui et nous a transmis ce mail de Broi "Dear Friends,
It was so good to hearing back from you all. My French is poor now, therefore, please excuse me for using English. Thank you for putting together all the pictures, as well as creating a website for our school. When looking at it, it reminds me of our young ages. It is great that after 40 years of disconnection, we finally are reconnected. I wish you all the best, and hopefully that someday there will be a chance for us to meet again. Let's keep in touch". Best regards"
Broi Toploi
Bien évidemment, nous avons parlé à Broi des prochaines Retrouvailles en juillet 2009 à Dalat, mais Broi nous a simplement dit qu'il ne pouvait être question pour lui de revenir au Vietnam …
Episode 4 : A LA RECHERCHE DE NAY BAH
Maintenant que nous avions retrouvé K'Briu et Broi, il nous restait à chercher Nay Bah. Bernard Sarandas Metharam [promo 65] questionna les 2 frères à ce sujet : K'Briu croit savoir que Nay Bah habite le village de Pleikly au sud de Pleiku, pas loin de la route nationale 14 et qu'il travaille pour les autorités locales. Quant à Broi, il pense que Nay Bah vit à Kontum car après la guerre, il s'est marié avec une femme bahnar, il a dû quitter son village (Pleikly) et sa famille pour suivre sa femme, comme le veut la coutume chez nos amis montagnards ! Broi nous a conseillé de se renseigner auprès des Missions étrangères de Paris (MEP), 128 rue du Bac, pour avoir l'adresse du prêtre actuellement en poste à Kontum.
C'est ce que s'empressèrent de faire Bernard Sarandas et Laurent Marti.
Mais les Missions étrangères de Paris se montrèrent peu coopératives. C'est donc avec ces maigres informations, quelque peu divergentes (sud de Pleiku ou Kontum ? cela couvre une zone de 60 km !) que nous allons essayer de retrouver Nay Bah, et si possible avant les Retrouvailles 2009.
J'ai alors relancé ma 'bouteille à la mer' auprès d'autres amis, parmi lesquels Quản Hương Vi [promo 66] sachant qu'elle avait pas mal de relations au Vietnam. Hương Vi m'a mis en contact avec une autre yersinienne Phan Hoàng Lan [promo 66] qui est pharmacienne à Banmethuot et qui fit tout ce qu'elle put pour nous aider.
Hương Vi écrivit aussi à une de ses amies à Saigon, Madame Trịnh Diễm Nga. Celle-ci fait partie d'une association humanitaire (Hội Phụ Nử Từ Thiện) qui œuvre beaucoup dans la région de Kontum. Madame Trịnh Diễm Nga prit contact avec Monsieur Lê Văn Phẫm, le vice-président de la Croix Rouge à Kontum.
Entretemps, on m'avait demandé d'écrire une lettre à remettre à Nay Bah, au cas où on le retrouverait. Ce que je fis immédiatement. Monsieur Lê Văn Phẫm fit entreprendre des recherches par ses services qui …. aboutirent à un résultat !
Et il nous annonça fièrement : "Avant 1975, Nay Bah s'était marié avec une femme nommée H'Nhir et qu'il vivait dans le village de Kontum K'Nam. Qu'après 1975, il a déménagé avec toute sa famille au village de Pleikly (xã Phú Nhơn – huyện Chư Sê –Tỉnh Gia Lai) Et que pour trouver Nay Nah, il suffisait d'aller au marché de Phú Nhơn, et demander à n'importe qui pour savoir où il habite !!" (traduit du vietnamien)
Heureux comme un pinson, je communiquai aussitôt ces bonnes nouvelles à mes amis. Bien que nous n'ayons aucune adresse ferme, les renseignements étaient suffisamment précis pour être fiables. L'espoir renaissait !
Episode 5 : LE SUSPENSE CONTINUE...
Arrivé à Saigon une semaine avant notre périple dans les Hauts-plateaux, je mis à profit ce laps de temps pour rencontrer Mme Diễm Nga et téléphoner à M. Phẫm, qui nous avait permis de retrouver la trace de notre ami, pour les remercier de leur précieuse aide. Et aussi, savoir s'il y avait du nouveau...
Ils n'avaient pas d'autres précisions à me donner mais ils me conseillèrent, qu'une fois arrivés au marché de Phú Nhơn, de demander à quelqu'un d'aller en moto au village de Pleikly et de ramener Nay Bah à Phú Nhơn. Probablement, l'accès du village en cette saison des pluies n'était pas aisé, me dis-je.
L'affaire n'était donc pas jouée d'avance !
Mes compagnons de voyage, Laurent Marti, Bernard Sarandas & Marie-Christine, et Thúy-Châu, mon épouse, débarquèrent successivement à Saigon et nous commençâmes notre tour vers les Hauts-plateaux, le 01 juillet 2009.
Notre périple, organisé par Bến Thành Tourism, devait se terminer le 08 juillet à Dalat pour les Retrouvailles LYCEE YERSIN. Mais avant cela, nous avions prévu de rechercher le village de Pleikly, proche de la bourgade de Phú Nhơn et si possible, d'emmener Nay Bah à Dalat avec nous. C'était notre ferme intention.
Mais un petit problème, non prévu, nous sapa le moral : Phú Nhơn n'existait pas ! En tous cas, aucune des cartes touristiques et routières que nous avions trouvées sur place ne mentionnait ce nom. Et aucun guide, ni chauffeur de Bến Thành Tourism n'en avait jamais entendu parler !
Cependant, ce nom figurait sur les anciennes cartes ; il figurait à peu près à l'endroit d'un bled nommé Nhơn Hoà, sur les cartes actuelles. Nous décidâmes arbitrairement que Phú Nhơn était devenu Nhơn Hoà, et que nous nous arrêterions au marché de Nhơn Hoà pour effectuer nos recherches. Des instructions furent données dans ce sens, au chauffeur et à notre accompagnateur, Phi Dũng qui, coïncidence, n'était autre que le neveu de Võ Thành Kim [promo 64]
Episode 6 : LE DENOUEMENT
Arrivés à 60 km de Pleiku par la nationale 14, venant de Banmethuot, nous aperçûmes enfin le panneau indiquant l'entrée dans la bourgade de 'Nhơn Hoà'. Nous ordonnâmes au chauffeur de rouler au ralenti pour chercher le marché. Quand nous vîmes le panneau 'Chợ Phú Nhơn ', nous n'en crûmes pas nos yeux et nous nous précipitâmes hors du véhicule pour aller vite aux renseignements.
Léger vent de panique ! Contrairement à ce qui nous avait été dit : aucune des personnes interrogées au marché ne connaissaient Nay Bah !! C'était trop bête d'échouer si près du but !
J'entrais alors dans une bijouterie dont le patron me conseilla d'aller me renseigner à l'église protestante, 300 mètres plus loin. Les plus rapides coururent vers l'église tandis que les autres membres du groupe continuaient leurs investigations au marché. L'église avait l'air fermée, mais devant, dans la cour, il y avait quelques maisons en bois vers lesquelles nous nous dirigeâmes. Devant la première, une jeune femme montagnarde nous accueillit et nous lui demandâmes si elle connaissait 'Nay Bah'.
Elle nous répondit simplement : "Biết" sans rien ajouter d'autre ! En chœur, nous lui demandâmes alors si elle savait où il habitait. Elle nous répondit : " Gần đây" … avant d'ajouter, après une petite pause : "Con gọi Nay Bah bằng Ông" !
Nous touchions presque au but ! Il nous restait à espérer que les Nay Bah nétaient pas aussi nombreux chez les Gia-lai que les K'Briu chez les Srê ou les Nguyễn chez les Kinh ! Et surtout qu'il s'agissait bien de "notre Nay Bah" !
Quoiqu'il en soit, nous demandâmes à la jeune femme de nous conduire vers la maison de son grand-oncle, Nay Bah. Malgré la barbe, nous reconnûmes immédiatement en son grand-oncle, celui qui avait fait ses classes avec nous, au Lycée Yersin. Il fut tout surpris de nous voir débarquer, car la lettre que j'avais écrite à son intention ne lui était jamais parvenue ! Alors qu'il nous offrait une tasse de thé, nous le laissâmes encaisser la surprise et récupérer de ce trou de 44 ans qui venait de se combler brusquement …
La suite, vous la connaissez : Nay Bah a participé avec son épouse H'Nhir, aux Retrouvailles du Lycée Yersin où il a pu renouer avec de nombreux camarades. Cette belle histoire n'a été possible que par la formidable chaîne de solidarité qui s'est créée entre Yersiniens et Yersiniennes, et leur engagement dans cette aventure. Plus d'une vingtaine se sont impliqués et ont rendu possible ce projet ! C'est la raison pour laquelle, nous souhaitons la partager largement.
Episode 7 : OÙ TOUT S'ECLAIRCIT !
Des premières informations obtenues, celles de K'Briu s'avérèrent les plus justes : Nay Bah habite effectivement à Pleikly au sud de Pleiku, pas loin de la route nationale 14. Cependant Broi a eu raison de penser que Nay Bah a quitté son village natal de Pleikly. Selon la coutume montagnarde, la femme de Nay Bah (H'Nhir) l'aurait épousé en échange de quelques buffles, et il aurait dû la suivre pour vivre dans sa famille à Kontum, chez les Bahnar. Mais Nay Bah n'a pas suivi la coutume.
Le sacré farceur ! Il a pris les buffles et est resté chez lui. Et c'est sa femme qui est venue vivre avec lui. Pourquoi nous ne trouvions-nous pas Phú Nhơn sur nos cartes récentes mais Nhơn Hoà, en lieu et place ? Suite au développement démographique, la commune (xã) de Phú Nhơn a été intégrée au bourg (thị-trấn) de Nhơn Hoà. L'un comme l'autre font partie de la sous-préfecture (huyện) de Chư Sê, province (tỉnh) de Gia Lai. Le village de Pleikly Phun (son nom exact) fait partie du bourg de Nhơn Hoà.
✪ Pour trouver la maison de Nay Bah : Après le marché de Nhơn Hoà (panneau à gauche de la route), continuer sur la RN14 environ 300m, on arrive à l'église, du même côté que le marché. Après encore 100m, un chemin à gauche mène à la maison de Nay Bah (après 50m). C'est facile quand on sait ! Alors si vous passez par là, n'hésitez pas à lui dire bonjour.
Genève, 18 août 2009 Nguyễn Ngọc-Bich [promo 65]